Pour
commencer, une définition de l'uchronie est essentielle. Il s'agit
d'un genre fictionnel, il présente généralement un monde qui
serait semblable au notre si l'histoire s'était déroulée
autrement. Ce qui est intéressant, c'est de faire le lien avec la
science-fiction, genre auquel appartiennent les super-héros
classiques, ce que ne sont pas ceux de Watchmen.
Toute
l'uchronie de Watchmen est basée sur l'apparition d'un surhomme (le
seul de l'histoire) capable de défier les lois de la physique. Alors
que dans notre monde, les Etats-Unis ont perdu la guerre du Vietnam,
que Nixon a été démis à cause du scandale du Watergate et que la
Guerre Froide s'est achevée avec la chute du bloc soviétique, dans
la réalité de Watchmen, tout est différent. Le dr Manhattan a fait
gagner les Etats-Unis au Vietnam, grâce à cette victoire, Richard
Nixon a été élu cinq fois (étant par là même en désaccord avec
la Constitution américaine) et l'affrontement en Afghanistan risque
de provoquer une guerre nucléaire d'un instant à l'autre. Le monde
est au bord du gouffre et l'horloge de l'apocalypse se rapproche
dangereusement de minuit.
Chapitre 12, p. 2
Image
intéressante que cette horloge, présente tout au long du comic.
Symbole d'un monde qui sombre peu à peu dans le chaos. Le terme
Watchmen même fait à la
fois référence aux gardiens (protecteurs) mais on peut également
lire uniquement le terme watch
qui signifie montre. Le fameux smiley, symbole du Comédien tâché
de son sang (tâche en forme d'aiguilles), peut également se lire
comme une horloge : horloge de la mort, du chaos et de l'horreur,
choses que représentent le Comédien. Cette horloge se rapproche de
guerre nucléaire et du chaos, alors que dans notre monde, à la même
époque, nous nous en éloignions pas à pas. Intéressant parallèle.
Ici,
c'est la folie des dirigeants prêts à détruire le monde pour
s'assurer la suprématie qui est pointée du doigt. Les menaces de
guerre nucléaire ne changent pas la vie des gens. Contrairement à
la crise des missiles de Cuba en 1962 qui avaient affolé les gens et
les avait poussé à quitter les villes et à se regrouper, dans
Watchmen, l'humanité a appris à vivre avec la peur. Le kiosquier
continue à vendre ses journaux et à commenter l'actualité, les
inspecteurs de police à enquêter sur les crimes, Rorschach à
rechercher le tueur de masques... La vie continue.
Comme
dans la plupart des comics, la ville a une importance toute
particulière. Encore une fois, c'est New York qui est choisie pour
accueillir l'histoire. Cette ville est particulièrement appréciée
des héros masqués (Spider Man, les Avengers...) et Watchmen n'y
fait pas exception. Ici, la ville est surtout représentée de nuit.
Rorschach ne travaille que la nuit et comme c'est le personnage qui
est l'un des plus suivis, cela paraît logique. Ici, la ville est
grise, sale et triste. Nous n'en voyons cela dit que les rues et les
quartiers dangereux. Néanmoins, l'histoire est inscrite dans la
ville. Entre deux tags de « who watches the watchmen »,
reste d'un passé disparu et d'un dessin d'ombres enlacées,
attendant la fin du monde (dessin a priori inspiré d'Hiroshima)
indice d'un futur à détruire, le moins que l'on puisse dire c'est
que la ville reflète l'humeur du monde.
A
la toute fin, on remarquera que le dessin des ombres est effacée et
que les « watch the sky » remplace les anciens slogans.
Des affiches pour un monde uni s'essaiment dans toute la ville et on
parle d'un autre candidat aux élections présidentielles, un certain
Robert Redford. Bref, ce pourrait être une utopie, telle que l'on
peut se l'imaginer, mais une publicité d'un parfum commercialisé
par Veidt, remet les choses à leur place. L'homme à l'origine de la
mort de millions de personnes va continuer à s'enrichir et va faire
partie de ceux qui reconstruiront un nouveau monde. Ce n'est donc pas
une utopie que nous présente Moore et Gibbons mais bien celle d'un
homme, certes supérieur à la moyenne dans tous les domaines mais
qui reste un homme. Encore une fois, juge, bourreau et partie, « who
watches the watchmen ».
Chapitre 6, p. 17
Alan
Moore quand il a créé ce monde, souhaitait surement faire résonance
au sien. En effet, le nucléaire n'était encore perçu que dans sa
dimension d'arme, deux ans avant Tchernobyl, on imaginait pas que le
nucléaire civil puisse être un danger. Cette uchronie dystopique a
plongé les lecteurs de Watchmen dans un immense émoi. Les fans de
comics et de super héros ont été déstabilisés par les héros
masqués de Watchmen. De plus, les valeurs véhiculés n'étaient
certes pas celles auxquelles ils étaient habitués. En lieu et place
d'une glorification de l'esprit américain, on assiste à la
déchéance des Etats-Unis. Il est d'ailleurs intéressant de noter
que le mythe fondateur américain de la « Frontière »
(le fait d'aller toujours plus loin, mise en avant de l'esprit
pionnier et courageux des cow boy) est le seul régulièrement
présent, sous la forme du... New Frontiersman, un journal fasciste,
raciste et belliciste.
Comme
toujours avec Moore, il ne faut pas se fier à la première lecture.
Les personnages qui nous sont présentés comme des héros sont soit
des sociopathes, des tueurs de masse, des créatures apathiques ou
bien de sympathiques inutiles.
Le
personnage du Comédien est surement l'un des plus intéressant à
étudier, notamment lorsque l'on fait le parallèle avec Alan Moore.
Alors certes, à première vue, tout les oppose. Alors que le
Comédien est un « faciste limite nazi » (selon Veidt),
qui n'a pas hésité à tuer des femmes et des enfants au Vietnam,
tandis que Alan Moore s'il est très marqué politiquement, serait
plutôt à gauche, voire à l'extrême gauche. Ses thèmes de
prédilection restent tout de même la dénonciation du fascisme et
la glorification de l'anarcho-nihilisme (V pour Vendetta). Cependant,
même s'il travaille pour le gouvernement, il est intéressant
d'observer que le Comédien est lui aussi un nihiliste. Il estime que
la vie n'est qu'une immense plaisanterie et il a accepté comme tous
les autres de jouer son rôle, sauf que lui sait qu'il n'est qu'un
comédien. La découverte des plans de Veidt va néanmoins le
bouleverser, lui le meurtrier, le violeur, le tueur de sang froid,
l'ébranler au point qu'il ne saura plus où il en est. Et quand le
Comédien ne connaît plus son texte, le monde flanche.
Chapitre 2, p. 24
Alan
Moore a créé une oeuvre qui l'a dépassé, de la même manière que
les artistes et les scientifiques les plus brillants travaillant sur
cette île déserte (une île, comme l'utopie de Thomas More...) ont
créé l'oeuvre de leur vie qui les a eux aussi dépassée. La
création artistique est d'ailleurs au coeur de l'intrigue, comme une
intéressante mise en abîme. D'ailleurs, l'une des personnes
enlevées n'est autre que Shea, l'auteur du comic de pirates que lit
tout au long de la bande dessinée le jeune garçon. Ici, ce ne sont
pas des comics de super héros, ces derniers étant très
impopulaires, mais des histoires de pirates. Encore une fois, c'est
une intéressante mise en perspective du travail de Moore, puisque
Shea est censé avoir insufflé au genre « sombre et lugubre
associant des terreurs métaphysiques et un troublant effet de
réalité, surtout s'agissant de mort et de sexualité ». Cette
phrase pourrait également décrire le travail d'Alan Moore surtout
sur son From Hell (comics traitant de Jack l'Eventreur). Shea finira
assassiné, en même temps que tous les autres, par Veidt qui ne
voulait pas laisser de témoins.
Néanmoins,
contrairement à ces derniers, l'ouvrage de Moore n'a pas eu pour
conséquence directe plus de 3 millions de morts mais il a
véritablement modifié en profondeur le monde de la bande dessinée
et de la science fiction.
Source :
http://popenstock.ca/dossier/article/watchmen-vs-superman-levolution-du-superheros
Source :
http://popenstock.ca/dossier/article/watchmen-vs-superman-levolution-du-superheros
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